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Nous avons le très grand plaisir de diffuser ici le dernier article de Sarah Quilleré, anthropologue. Son travail rigoureux et généreux nous est, à nous comme à bien d'autres, d'une grande utilité pour mieux comprendre les réalités complexes du peuple Wayuu.

Quilleré Sarah, « Écologisation et standardisation des mythes traditionnels, reconfiguration des connaissances locales et nouveaux concepts. Les Wayuu en lutte pour la sauvegarde du territoire », Revue d'anthropologie des connaissances, 4/2016 (Vol. 11), p. 609-634.
URL : http://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2016-4-page-609.htm
 

Résumé

L’objectif de cet article est de démontrer comment les luttes de certaines communautés wayuu pour la sauvegarde du territoire s’inscrivent dans un processus de transnationalisation de la nature au sein duquel les connaissances locales sont reconfigurées. Nous sommes dans le Nord de la Colombie, département de La Guajira, une péninsule semi-désertique frontalière du Venezuela et territoire des communautés indigènes wayuu. Ici cohabitent, depuis les années 1970, les Wayuu et le Cerrejón, plus grande mine d’extraction de charbon à ciel ouvert du monde. Cette cohabitation de deux entités aux représentations très dissemblables a suscité des bouleversements dans l’ordre social des communautés indigènes qui luttent depuis l’arrivée de la mine pour continuer d’exister. L’enjeu de cette lutte est la souveraineté du territoire, revendiqué comme ancestral et sacré pour les uns et comme facteur de développement transnational pour les autres. C’est en effet une confrontation de deux conceptions de l’environnement que nous évoquerons ici et, à travers elles, la verticalité d’un rapport de force qui aboutit à la création d’un espace relationnel, lequel va amener les communautés à se repenser afin de se faire entendre dans l’arène globale. Nous aborderons ainsi les changements de pratiques et de discours en lien avec le territoire afin de comprendre l’écologisation du discours politique indigène et la standardisation de la trame mythique.

Ecologización y estandarización de los mitos tradicionales, la reconfiguración de los conocimientos locales y nuevos conceptosLos wayuu luchando por salvaguardar el territorioEl objetivo de este artículo es de entender los cambios discursivos y cognitivos que han hecho las comunidades Wayuu entradas en lucha contra la mina con el fin de salvaguardar su(s) territorio(s). Estamos en el Noreste de Colombia, en el departamento de la Guajira, una península semi-desértica a la frontera con Venezuela y territorio de las comunidades indígenas Wayuu. Aquí conviven desde 1970 los Wayuu y el Cerrejón, la mayor mina de extracción de carbón a cielo abierto del mundo. Esta cohabitación de dos entidades con representaciones distintas provocó conmoción en el orden social de las comunidades indígenas que luchan desde el inicio de la explotación de la mina para seguir existiendo. El asunto de esta lucha es la soberanía del territorio reclamado como ancestral y sagrado para unos y como factor de desarrollo transnacional para otros. Este es de hecho un enfrentamiento entre dos concepciones del ambiente medio que vamos a discutir aquí y, a través de él, la verticalidad de una lucha de poder que se tradujo en la creación de un espacio relacional, lo que conduzco las comunidades a repensar y redefinir a sí mismas con el fin de ser escuchadas en el escenario global. Por último, es de entender los cambios discursivos y cognitivos que han hecho las comunidades Wayuu entradas en lucha contra la mina con el fin de salvaguardar su(s) territorio(s).

 

Introduction

Le 31 mars 2013, alors que je suis pour la première fois dans une rancheríawayuu – région de La Guajira au nord-est de la Colombie –, une explosion retentit. Il est 13 h. « Bienvenue à la Guajira », me dit alors ironiquement l’un des Wayuu en voyant mon étonnement. Ce bruit allait devenir quotidien pour moi qui m’installais quelque temps dans les communautés voisines de la mine de charbon du Cerrejón [1][1] Le terme de Cerrejón utilisé dans cet article fait.... Cette explosion résultait, en effet, du dynamitage de la montagne par la compagnie minière. Chaque jour à la même heure, elle résonne dans une bonne partie de La Guajira. Ce jour-là, nous étions à une cinquantaine de kilomètres de la mine qui en fait quarante de large. J’aurai, par la suite, l’occasion d’entendre ce bruit sourd de plus près et de ressentir le tremblement qui peut l’accompagner.

Dans cette région, l’enjeu se situe actuellement entre le « développement régional et national » et le maintien des facteurs de l’harmonie ou du bien-être de l’ethnie indigène locale, les Wayuu. À cet égard, l’implantation de la plus grande mine d’extraction de charbon à ciel ouvert du monde sur ce territoire, à la fin des années 1970, a bouleversé l’univers des communautés de la région et créé une crise environnementale sans précédent. L’ampleur du projet [2][2] La mine produit 32 millions de tonnes de charbon par... est telle qu’elle a créé une rupture d’intelligibilité au sein des communautés, lesquelles ont dû développer de nouvelles stratégies d’adaptation afin de garantir la survie du groupe. L’histoire de cette cohabitation entre deux entités aux représentations antagonistes, s’inscrit pleinement dans les processus historiques du mouvement indien en Colombie et des politiques nationales et internationales en matière d’environnement et de citoyenneté. Elle reflète, en effet, à un niveau national, le certain empoderamiento politique des communautés indigènes en Colombie à la suite de l’ouverture au multiculturalisme qui a suivi l’adoption de la Constitution en 1991. À un niveau transnational, elle reflète également l’articulation des peuples indigènes et de leurs territoires autour de programmes et de connaissances globales, en lien avec les politiques du changement climatique. Les séquelles environnementales portées à leurs territoires et l’évolution des systèmes de représentations politiques ont ainsi entraîné les communautés wayuu à repenser leurs processus d’organisation externes et internes et à adopter une conception patrimoniale de leur territoire, c’est-à-dire à le convertir en un bien immatériel. On assiste à une ethnicisation du discours politique et écologique où, comme le suggère G. Boccara, l’identité du groupe devient une ressource de l’action collective (Boccara, 2010). L’objectif de cet article est donc de démontrer comment les luttes de certaines communautés wayuu pour la sauvegarde du territoire s’inscrivent dans un processus de transnationalisation de la nature au sein duquel les connaissances locales sont reconfigurées. Ce travail ne prétend pas offrir une nouvelle vision de ces mécanismes [3][3] Le cas des Wayuu est loin d’être isolé ; les conflits..., mais plutôt, il veut donner à voir un cas concret de construction de ceux-ci via une perspective historique et l’expérience ethnographique d’une lutte sociale.

Je prendrai donc pour ce faire l’exemple des communautés wayuu situées au sud de La Guajira, où se trouvent les gisements carbonifères. Ce sont ces dernières, les plus impactées du fait de leur mitoyenneté avec le Cerrejón, qui se mobilisent contre la présence de ce consortium des plus puissantes entreprises minières au monde (BHP Billiton en tête) et leur expansion sur le territoire depuis des décennies. Cette mobilisation appelle le développement de nouvelles stratégies d’empoderamiento politique et crée un sentiment d’appartenance à un réseau activiste local en prise avec des réseaux d’organisations nationales, internationales et de coopération à l’échelle globale. Je commencerai l’analyse par une brève description de l’univers de l’ethnie wayuu, afin de comprendre quels types de savoirs sont en jeu ici. Je reviendrai ensuite sur l’implantation des principaux acteurs du projet minier et les prémisses de leur relationnement avec les communautés wayuu voisines. Puis, j’aborderai les relations locales de pouvoir et l’ingérence de l’État en lien avec les politiques multiculturalistes. Le thème environnemental sera le filigrane de l’analyse puisqu’il est la clé de voûte de cette nouvelle géopolitique de la connaissance, basée sur la gestion des ressources naturelles, et partant sur le contrôle du territoire.

Territorialité wayuu

Les Wayuu, littéralement « les gens », sont des Indiens d’origine arawak qui habitent la péninsule de La Guajira, partagée entre la Colombie et le Venezuela. Le peuple wayuu est constitué d’environ 500 000 individus, ce qui fait de lui l’un des peuples amérindiens les plus importants d’Amérique du Sud. Mon analyse, quant à elle, se base sur une recherche bibliographique et un travail de terrain, réalisé pendant plusieurs mois en 2013, dans différentes rancherías[4][4] Les rancherías sont les unités de résidence « traditionnelles »... wayuu, représentantes du mode de vie rural largement majoritaire, mais également en milieux urbains dans le département de La Guajira [5][5] Néanmoins, pour les raisons sus-citées, j’évoquerai.... Mon terrain s’est déroulé lors d’une importante lutte sociale contre le projet porté par les représentants de la mine du Cerrejón de dévier le fleuve Ranchería sur 26 kilomètres dans la péninsule. Ce projet d’expansion appelé « P-500 Iiwo’uyaa » [6][6] Des études menées par le Cerrejón ont révélé la présence..., qui signifie littéralement « le lieu où naît le printemps » en wayuunaiki, devait être mené à bien par Mr Jose Link, chef de ce projet et aujourd’hui consultant extérieur pour l’entreprise. Ma recherche prétendant à une anthropologie politique et écologique, j’ai réalisé plusieurs entretiens avec des leaders de communautés se proclamant en lutte contre la multinationale du Cerrejón mais également avec des représentants de cette dernière, tel Mr Link. J’ai essayé, en partageant le quotidien dans certaines communautés wayuu, de comprendre le rapport de ces leaders au territoire ainsi que les enjeux de leurs luttes pour sa sauvegarde. Afin de ne pas tomber dans l’écueil du monolithisme discursif, j’ai tenté de multiplier les rencontres et les avis.

Les Wayuu, en tant qu’ethnie, partagent un imaginaire commun, une façon d’être Wayuu qui les définit a priori par rapport aux Autres. S’ils ont opté pour « un métissage culturel et biologique » (Perrin, 2009), pour autant, leur vision du monde est bien différente de la nôtre. La cosmologie des Wayuu s’élabore au sein d’une trame mythique qui donne à voir des schèmes englobants relevant d’une conception animiste du monde [7][7] Chaque être végétal, animal, humain ou minéral a une... (Descola, 2005). Il est très difficile de savoir dans quelle mesure ces représentations sont toujours opérantes chez les communautés ; en effet cela relève plus de l’expérience idiosyncratique et beaucoup de facteurs entrent en compte : l’âge, le mode d’habitat et desubsistance et l’éducation. Il est, au vu de mes recherches, évident que cette faculté imaginante reste structurante et lorsqu’elle n’est pas partagée, elle est tout du moins connue de la majorité des Wayuu vivant à La Guajira. Le rapport que les communautés, où je me suis rendue, entretiennent au territoire par leurs pratiques et leurs discours, révèle un attachement symbolique fort à celui-ci. En effet, le territoire est marqué par des lieux qui cristallisent en leur sein toute l’organisation de ce monde social et culturel.

« Ainsi, comme le dit la loi de nous autres, un Wayuu sans terre n’est rien, il a beau aller ailleurs. Mais pourquoi as-tu laissé ta terre à l’entreprise, lui demandent-ils, pourquoi as-tu laissé ta terre ? Reste là-bas, tu es de là-bas. Là-bas est morte ta grand-mère, là-bas sont morts tes ancêtres, ils sont tiens, ceux qui nous représentent ici ce sont les cimetières. C’est ce qui nous maintient toujours. »

(Habitant de Media Luna [8][8] Entretien réalisé en avril 2013.)

La présence du cimetière dans la ranchería familiale assure d’une part la protection de ses occupants, mais plus encore, elle donne sens à leur présence. « Les Wayuu sont là où sont leurs morts », me dit-on. Si l’omniprésence des ancêtres et des autres forces de la nature est partout manifeste, certains lieux sont plus particulièrement affectés de normes et de règles émanant de la présence avérée et permanente de certaines puissances. La puissance de ces lieux, comme celle du cimetière ou de Jepira [9][9] Jepira est un lieu au nord de La Guajira où, selon..., déborde les limites du lieu pour irradier les espaces adjacents ou le territoire de façon plus ou moins intense. En matérialisant la présence des ancêtres dans l’espace, le cimetière représente le lieu le plus tangible à partir duquel s’étend « le territoire des ancêtres » du groupe. De plus, les communautés wayuu, dans la mesure où elles se composent essentiellement d’éleveurs et d’agriculteurs, entretiennent un rapport quotidien à la terre [10][10] Il est bon de préciser que les Wayuu résidant en ville..., en ce qu’elle est le substrat privilégié des activités de subsistance mais également de loisirs.

« Après les cimetières, les sources d’eau sont les sites sacrés que nous souhaitons préserver, pour nos rêves [11][11] Femme Tamaquito. Entretien réalisé en mai 2013.. » Vivant dans une région semi-désertique où elle fait défaut, l’eau sous toutes ses formes (pluie, jagüey[12][12] Les jagüey sont de petits orifices, à l’origine formés..., rivières, fleuve, etc.) est chargée d’un symbolisme fort pour les communautés wayuu. Les points d’eau sont la base des principaux rituels ; les présages annoncés par les rêves donnent d’ailleurs très souvent lieu à des ablutions matinales. De plus, je remarquai des tatouages chez plusieurs anciens dont certains formaient des lettres ou des dessins que j’identifiai comme la marque des clans. Cependant, chez d’autres, comme Telemina, il s’agissait d’un point plus ou moins gros sur le visage. Alors que je m’entretenais avec elle, je lui demandai les significations de son tatouage sur le coin de la lèvre.

« C’est une pratique ancestrale de se faire des tatouages. Parfois ça ne veut rien dire. On se tatouait des lettres que l’on recopiait des alijuna. Mais celui-ci [le rond au coin de la lèvre] sert à nous préserver de la soif après la mort. C’est une sorte de grain de beauté. Quand nous mourrons, nous n’aurons plus d’eau, nous allons mourir de soif. On doit avoir comme un signal, qui nous permet d’entretenir un lien permanent avec l’eau et l’au-delà. »

(Telemina, Patsuaralii [13][13] Entretien réalisé le 6 mai 2013 en wayuunaiki. Traduction...)

Avec les changements climatiques, la recherche de l’eau est devenue le véritable chemin de croix des Wayuu [14][14] La recherche de l’eau est une activité traditionnellement.... En effet, la situation écologique s’empire [15][15] Pour un détail de la situation écologique à la Guajira :..., avec des saisons des pluies de plus en plus tardives et de moins en moins longues. L’eau du fleuve et de ses affluents se tarit et est très polluée, même si certaines communautés continuent de la consommer. Les bouleversements environnementaux liés au réchauffement climatique sont accélérés dans la région par la présence de la mine [16][16] http://www.elaw.org/files/mining-eia-guidebook/Cha.... En effet, la pollution engendre un changement de la faune et de la flore et donc une évolution des connaissances en lien avec celles-ci. « Nous ne reconnaissons plus les rythmes de la Terre », me dit Yazmin. « Comment transmettre à mes petits enfants les fruits à cueillir ? les graines à planter ? si tout disparaît ? Même les serpents, on ne les voit plus », me confie cette fois Telemina.

Si, depuis leur premier contact avec les sociétés occidentales qui remonte au début du XVIe siècle, ces communautés ont vu leur mode de vie fortement perturbé et leur territoire souvent menacé, l’arrivée du projet d’extraction minier du Cerrejón et avec lui l’irruption de « l’économie monde » marque un tournant décisif dans leur façon de penser le territoire.

De l’arrivée de « la mine » [17][17] 

En 1860, l’ingénieur John May découvre le Cerrejón, formation géologique du pliocène éponyme de l’entreprise minière, sous laquelle gisent des millions de tonnes de charbon. L’exploration puis l’exploitation de ce gisement minéral, à partir des années 1980, fit partie d’une réorientation du modèle économique national qui privilégia le modèle extractif par rapport au modèle agricole. L’arrivée des multinationales sur le sol colombien fut, la plupart du temps, vécue comme une agression par les localités soumises à de fortes pressions sociales : violence envers les syndicats, présence de groupes armés, déplacements forcés, etc. L’État, initialement partie prenante, laissa très vite les pleins pouvoirs aux multinationales qui exercèrent ainsi leur activité dans une grande autonomie. De plus, leur implantation fut favorisée par des conditions fiscales et juridiques attrayantes mais également par une faiblesse des institutions publiques quant à la supervision et au contrôle de leurs activités. Selon un leader politique de La Guajira, l’État ne connaît toujours pas exactement les quantités de charbon extraites et exportées par le Cerrejón ; ceci me sera confirmé par un dirigeant de l’entreprise. Aujourd’hui, le développement de l’appareil institutionnel de l’État colombien, amorcé depuis son indépendance, répond avant tout aux normes économiques du système global. De même, si certaines multinationales ont déployé des mesures sociales et environnementales, c’est surtout sous la pression internationale. C’est dans le contexte du développement, stimulé par le Consensus de Washington et des stratégies économiques mondiales, que s’inscrit l’implantation définitive des entreprises multinationales en Colombie dans la seconde moitié du XXe siècle, et plus particulièrement celle du Cerrejón qui nous intéresse ici.

L’ampleur du projet, dès ses premières phases d’exploration, a définitivement changé la territorialité de la région. L’État colombien a alors nié les droits ancestraux des communautés wayuu sur leurs terres, assimilant les communautés à des « occupants » sans droit puis, par la suite, à de simples « voisins » de la mine. Les considérations étaient alors plus techniques que sociales. Dès les premières installations d’infrastructures, la pression se fit sentir dans les communautés. Ce fut le début d’une spéculation foncière avec notamment l’attribution arbitraire de titres de propriété à laquelle est venue s’ajouter l’occupation forcée de terres entraînant des déplacements massifs de population. Les territoires occupés par des resguardos indigènes, impactés par le projet, étaient souvent payés à leur stricte valeur commerciale sans considération symbolique. La plupart du temps, les autres territoires indigènes étaient considérés comme des terrains en friche (Puerta Silva, 2009). Chaque zone de la péninsule a ainsi été transformée par la présence de la mine ; la Basse Guajira parce que s’y trouvent les gisements, la Moyenne et la Haute Guajira, par la route et la voie ferrée qui la traversent et le port de fret de Puerto Bolivar. Lors du réaménagement territorial nécessaire à l’installation de la mine, les droits territoriaux des Wayuu n’ont pas été pris en compte. On a nié l’ethnicité des communautés du Sud de La Guajira, par ignorance d’une part, mais également à cause de leur « invisibilisation » (Puerta Silva, 2009, p. 146). Les Indiens de la région ne correspondaient en effet plus aux stéréotypes anthropologiques d’antan, c’est-à-dire à l’image de nomades et de bergers. On les assimila alors à la population paysanne qui n’avait pas de droits territoriaux spécifiques. Le problème de la mise en titres des territoires indigènes se posa exclusivement dans le Sud de La Guajira, où les gisements miniers sont localisés. Dans le Nord, seul le port fit l’objet d’une concession territoriale. C’est également là que les impacts du projet se sont fait le plus ressentir et la situation perdure : déplacements de populations, déforestation massive, décapitation de la montagne, pollution des biotopes. Les répercussions environnementales liées à l’extraction des ressources naturelles sont multiples, mais il est néanmoins très difficile de les identifier précisément. En effet, les rapports sur les risques et les dégâts environnementaux sont, la plupart du temps, effectués par le service de gestion environnementale du Cerrejón et bien souvent soumis à la corruption. Les opposants aux projets d’expansion miniers estiment qu’il n’y a jamais d’autres études d’impact réalisées que celle de l’entreprise et que la stabilisation du milieu naturel après les projets, comme celui de déviation du fleuve, sera très longue à obtenir, quand bien même les promesses de réhabilitation seraient tenues. Les responsables des projets d’expansion, tel Mr Link, disent quant à eux répondre à toutes les normes légales, en particulier celle de la consultation préalable, ce que dénoncent certains leaders wayuu [18][18] Ce système de consultation préalable apparaît dans....

Depuis son arrivée, la violence du projet, porteuse d’un développement poussé à son paroxysme, entraîna un changement des pratiques et un nouveau système discursif. Comme le disent Bensa et Fassin, « sa violence, voire son absurdité apparente, ne laissent muets les contemporains que le temps de son irruption. Mais la première stupeur passée, les mots et les signes affluent, comme pour combler la béance du sens » (Bensa & Fassin, 2002). La rupture n’est perçue qu’après la stabilisation de l’opération minière qui a révélé un ordre nouveau. « La mine » est alors devenue la source de tous les maux : des mauvaises conditions climatiques à l’absence de rêves bouleversant la marche du monde wayuu. Lors d’un entretien avec une femme rêveuse, celle-ci me confie que depuis que le train de la mine passe aux abords de sa maison, elle ne rêve plus normalement. Chaque nuit, dit-elle, ses présages avortent avec le passage du train, le bruit et le tremblement qu’il génère. Elle continue donc de rêver mais n’est plus à même de prévenir les dangers comme avant. Son statut social a donc évolué et on ne vient presque plus la consulter. De même, s’il ne pleut plus dans la région, c’est, me dit-on, à cause de l’entreprise qui empêche Juya (divinité de la pluie) de venir pour ne pas nuire aux opérations d’extraction.

Comme nous allons le voir, les communautés wayuu touchées par le projet minier ont créé une nouvelle forme d’articulation externe. Ce changement est dû à l’ampleur du projet, aux effets sur les conditions de vie et à l’impossibilité pour les Indiens de s’intégrer en tant que main-d’œuvre dans la chaîne productive de l’entreprise. En effet, les espoirs d’intégration au projet minier se sont rapidement évanouis après le licenciement de la majorité des Wayuu à cause de leur manque de qualification [19][19] Selon un rapport du DANE de 2005, seuls 2,9 % des habitants..., alors qu’ils avaient pourtant travaillé à la construction des installations minières. Les populations indigènes ne sont plus les objets de projets de modernisation nationale qui prévalurent jusqu’aux années 1970 et cherchaient à les transformer en citoyens modernes et en prolétaires de l’État industriel. Ce sont leurs terres riches en ressources naturelles, et non les populations indigènes, qui sont devenues les objets du développement (Boccara, 2010).

La logique du développement

À la fin des années 1970, l’implantation des acteurs du projet minier dans la péninsule a imposé une nouvelle définition de la réalité. Comme le dit Rivera, « pour les techniciens, ingénieurs et administrateurs du Cerrejón, il n’y a pas d’apüshi[20][20] Relations de parenté maternelle normalement composées... ni de sites sacrés. Sur leur carte apparaissent carrières, campements, tours de communication, ponts. Il y est mentionné les courbes de niveau et beaucoup d’autres données nécessaires pour le projet » (Rivera, 1986, p. 109). À la conception du projet, il s’agissait plus d’étudier sa viabilité technique que de comprendre l’organisation sociale des habitants de la région. La construction du gisement minier engendra un déplacement massif de populations indigènes. Toujours selon Rivera, « près de 90 apüshi, le long des 150 km de routes quicoupent le cœur du territoire ethnique ont vu leurs maisons, leurs troupeaux et leurs cimetières emportés par les constructeurs de la route du Cerrejón » (Rivera, 1986, p. 108). Ce projet, comme tant d’autres, est l’expression de la modernité occidentale et, avec elle, du modèle de développement qui s’est imposé au fil des décennies aux communautés du monde entier. L’analyse discursive du développement proposée par Escobar (1996) permet de repérer les logiques structurantes du développement ou les marqueurs d’« interdiscours » qui contribuent à construire des objets et des pratiques propres à la formation discursive.

Ainsi, les notions de développement défendues par les membres du Cerrejón [21][21] Je fais ici référence aux arguments que les membres...ont comme dénominateur commun la métaphore de la croissance. Il s’agit d’une croissance organique, immanente (qui est dans les gènes) ; elle est directive (elle croît, elle mûrit), accumulative et irréversible (l’organisme de l’adulte ne peut revenir à celui de l’enfance). La disparition des sociétés les moins adaptées est seulement la conséquence logique de la survie du plus fort (lorsque j’interroge un responsable du projet d’expansion sur les impacts environnementaux considérables de la mine, celui-ci la compare à un volcan dont les dégâts sont certes dévastateurs mais dont la présence est inévitable). La formation discursive autour du développement met systématiquement en relation les formes de connaissance et les théories du pouvoir. Ainsi la modernité capitaliste développe-t-elle des formes rationnelles de management des ressources et des populations assujetties à la connaissance d’experts en planification, de statisticiens, d’économistes, de démographes, etc. Ces formes de connaissance découlent d’un système de représentation propre qui est communément partagé par l’imaginaire collectif. Plus qu’un discours, le développement est un idéal. Il peut se concevoir comme une fin en soi, un modèle à atteindre, mais également comme le moyen d’y parvenir. L’idéologie du développement prend donc une dimension quasi religieuse. Ainsi, il existerait une sorte de paradis que l’on atteint en empruntant le bon chemin, la voie du développement. Le projet minier du Cerrejón a cristallisé tous ces espoirs de développement, par un discours dynamique relayé par l’État. Aujourd’hui encore, selon le discours politique dominant, le sort des Wayuu est adossé au développement du Cerrejón.

Création de l’espace relationnel

« L’entreprise, alors aussi hégémonique qu’un État, a imposé son ordre et son contrôle dans toutes les dimensions de la vie : le territoire et l’économie, la mobilité et la résolution des problèmes de base comme l’eau, l’éducation, la santé, le transport, et finalement, l’identité. C’est elle qui règle la prospérité ou le manque. C’est elle qui aide ou non. Elle a décidé du développement, mais elle a aussi déterminé qui était indien et qui ne l’était pas. » (Puerta Silva, 2009)

Pour l’État, le projet du Cerrejón a ainsi incarné l’opportunité de l’instauration d’une certaine souveraineté par le biais d’une puissance privée. Puis la concession de l’exploitation du gisement minier par l’État a légitimé les pratiques et discours de la multinationale à l’égard de la région. La délégation de souveraineté territoriale et de la fonction publique favorisa ainsi le positionnement hégémonique des entreprises minières étrangères sur l’espace relationnel dans la région. Selon Médard, « le rapport de clientèle se greffe sur un rapport, ou d’une façon plus générale sur une situation d’inégalité qui est souvent en elle-même génératrice d’exploitation » (Médard, 1976). La légitimation de la coentreprise du Cerrejón par l’État offre au départ une situation objective considérée comme « normale » qui implique d’une certaine façon que le client se sent l’obligé du patron. L’entité minière constitua une entrave majeure dans l’accès aux ressources naturelles par l’accaparement et le contrôle des terres.

La tension entre les pratiques du Cerrejón de type normalisé et les caractéristiques de « l’hôte » local a nécessairement conduit à la mise en marche de stratégies de la part des acteurs pour atteindre leurs buts. La multinationale a ainsi opté pour une adaptation à l’usage local lors de certaines pratiques de négociation, d’interaction et de cohabitation. Face à ses voisins wayuu, l’entreprise a dû revoir sa stratégie afin d’éviter les conflits. Pour gagner la confiance, être acceptée et établir une relative stabilité, la mine a créé des liens personnalisés avec les communautés. Le particularisme de la relation est un principe constitutif du clientélisme (Médard, 1976). Ainsi, parallèlement à l’usage de standards internationaux, elle a développé des pratiques relationnelles locales, telles que l’alliance et le parrainage. L’entreprise a donc cherché des intermédiaires wayuu privilégiés, sortes de « brokers » (Boissevain, 1974). Il s’agissait de personnages qui avaient traditionnellement servi de passeurs entre les étrangers et les communautés, entre « des patrons » et « des clientèles ». Ces pratiques personnalisées de mise en relation et de négociation avaient souvent pour seul but l’achat de terres et le déplacement de populations. L’un des piliers de la reproduction sociale des Wayuu est justement la pratique d’alliances, qu’elles soient matrimoniales, politiques ou économiques. La continuité des pratiques locales et l’appropriation par les représentants du Cerrejón de certaines logiques wayuu de résolution et de prévention du conflit expliquent la réussite des négociations et du système d’interaction au début du processus. Par ailleurs, cette relation exceptionnelle avec l’entreprise minière, dans les premiers temps, allait contribuer à réaffirmer l’autorité de ces médiateurs qui, par la suite, useraient de leur position pour peser dans les revendications (Puerta Silva, 2009). Depuis leur arrivée jusqu’à aujourd’hui, les acteurs de la mine, à savoir les différents chefs de projets consécutifs, ont réussi à créer des liens d’« amitié » à travers des donations de matériels de construction, de réservoirs d’eau, de festins, d’écoles, de centres mobiles de santé, etc. En comblant de cadeaux des leaders et des personnages prestigieux, l’entreprise s’est assuré un réseau de défenseurs du projet minier. La distribution inégale d’avantages matériels ou autres s’est ainsi transformée en un facteur de différenciation et de mobilité sociale.

Cependant, dans un contexte de reconnaissance de droits aux minorités en Colombie à partir des années 1990, la prise de conscience de certains leaders wayuu les a amenés à réévaluer les termes de l’échange clientélaire dans un sens plus favorable à leurs intérêts et à faire appel à des intermédiaires externes telles que certaines ONG.

Les relations de pouvoir et l’ingérence de l’État

Le mouvement indigéniste ne semble pas avoir trouvé un très grand écho chez les Wayuu avant les années 1990. Cela s’explique en partie par le mode de négociation que pratiqua le Cerrejón au début de son installation et par le mode de reproduction sociale des Wayuu basé sur la nature compétitive des structures de pouvoir et de prestige (Saler, 1988). Malgré les premiers déplacements de population, le système clientélaire fonctionnait alors assez bien et les promesses de développement eurent raison des mécontentements. Avec la Constitution de 1991 et les nouvelles ressources attribuées aux Indiens [22][22] Depuis la Constitution de 1991, de nombreuses lois..., les structures associatives se sont multipliées [23][23] Dans la région de La Guajira, on ne dénombre pas moins.... Dès lors, le problème résida dans la mise en concurrence de ces organisations, aucune ne fédérant pleinement les Wayuu, du fait notamment de la partition géographique. Un autre écueil se trouve dans la légitimité des représentants de ces organisations locales. Il s’agit souvent de leaders traditionnels mais il y a également beaucoup de personnes qui se sont plus récemment démarquées lors de conflits territoriaux, tels que les anciensbrokers de la mine. Lorsque cela est nécessaire pour la gestion de ressources, ou en cas de litige foncier, les autorités indigènes font accréditer leurs fonctions auprès du bureau des affaires indigènes qui peut être départemental ou municipal. C’est le cas par exemple pour la création des resguardos[24][24] Le système des resguardos, ou réserves indigènes, est.... Après la Constitution de 1991 et l’ouverture au multicuturalisme, les relations entre les communautés indigènes et l’État se sont institutionnalisées. On assista à un nouveau type de citoyenneté, fondée sur le respect de la diversité. Ceci engendra à la fois un certain empoderamiento politique des communautés indigènes mais également de nouvelles formes de dépendances par rapport à l’État (Laurent, 2011).

L’État colombien a, en effet, encouragé les Indiens à s’organiser et à clarifier leur représentativité sur le plan juridique. La gestion d’un resguardo requiert aujourd’hui un trésorier, un secrétaire, un procureur et des suppléants qui constituent le consejo de cabildo. L’État a, ainsi, imposé ses conditions de reconnaissance du leadership indigène. Le problème réside maintenant dans la superposition des différentes instances. À un niveau local tout d’abord, des instances désignées gèrent les affaires externes comme les cabildos, autorités duresguardo, et d’autres gèrent les conflits internes, les alaulas[25][25] L’alaula est l’oncle utérin de ego. Il est la figure... et lespalabreros[26][26] Outre les alliances, le maintien de l’ordre social.... À un niveau départemental, ensuite, des maires de communes dont dépendent les resguardos et les gouverneurs de département sont élus. Chacune des instances suscitées a un rôle dans l’administration des resguardos ; un rôle politique, social et économique. Pour certains Wayuu, l’intervention de l’État est acceptable et nécessaire : « de toute façon on n’a plus le choix », me rapporte un jeune habitant au resguardo 4 de Noviembre. Mais, pour d’autres, plus traditionnalistes, l’autonomie est la seule solution et l’organisation en parentèles des Wayuu est incompatible avec ce système électif et donc inacceptable.

« Des fois ils [certains nouveaux leaders] ramènent des communautés extérieures pour se faire élire comme autorités, alors qu’ils n’ont rien à voir avec ça. Je suis autorité ! Je suis gouverneur ! Je suis cacique ! Ça, nous ne l’avions jamais entendu. Je suis vieille, j’ai 74 ans. Toute cette chose d’autorité, c’est nouveau. C’est depuis que l’État donne de l’argent pour les resguardos. Ce sont des autorités de l’argent. Maintenant ils arrivent avec leurs papiers comme des députés. Pourquoi on irait à la mairie demander un certificat pour être autorité ? Où sont passées leurs coutumes ? Avant, l’autorité c’était la famille. Nous savions quelles étaient nos terres, où étaient nos anciens. » (Chayo, Isiipa)

Traditionnellement pour être désigné comme autorité au sein du groupe, il faut répondre à la norme de la communauté : avoir un certain âge, être reconnu comme leader, posséder le don de la parole ; et, le plus important, il faut respecter la hiérarchie de la communauté. Mais l’apparition de nouveaux types de leaders et les conflits internes que cela suscite sont en lien direct avec la présence des sources extérieures de prestige ou de richesse. Comme l’évoque V. Laurent, la connaissance des lois et des rouages de l’État prime sur tout « savoir ancestral » dans les critères de sélection des dirigeants locaux. La mine et l’État ont offert de nouvelles ressources, mais la gestion de celles-ci est très problématique. L’autonomie administrative des territoires indigènes, prévue par la Constitution de 1991, n’a pas atteint ses ambitions. Ce sont toujours les municipalités ou les gouverneurs de départements qui gèrent en premier lieu les ressources fiscales attribuées aux Indiens. Ce fonctionnement laisse place à la corruption et au clientélisme politique. Ainsi, ces nouveaux leaders sont aujourd’hui élus par collusion, par intérêt politique et les abus de pouvoir sont très courants.

« Ils [les nouveaux leaders] ne connaissent même pas les lois wayuu, ne savent pas dans quel sens va l’eau. Pour moi, ils ne sont pas de la communauté. Ce sont des particuliers qui travaillent pour eux-mêmes. Ils sont élus par convenance politique pour l’argent. Ils achètent les gens pour qu’ils votent pour eux. Le sérieux et l’éthique se sont perdus. C’est peut-être le prix de l’intégration des Wayuu à l’État. » (Milaxi, Riohacha [27][27] Entretien réalisé en mars 2013.)

La volonté de l’État de centraliser le dialogue afin de mettre un terme aux relations personnalisées, souvent de type clientélaire, n’est finalement pas parvenue à rassembler les populations et à unifier les revendications. La politisation a sanctifié le clientélisme. Les organisations et les représentants politiques en tout genre ne cessent de se multiplier et n’ont pour réel dessein que l’accaparement d’une partie des ressources. De même que la désignation d’intermédiaires privilégiés par certains représentants de la mine a suscité des ambitions politiques dont on peut s’interroger sur la nature profonde. Ces nouveaux leaders, mus par un certain opportunisme, même lorsqu’ils se sont retournés contre le Cerrejón, ont cherché, avant tout, les moyens de s’élever dans la hiérarchie sociale, court-circuitant ainsi le modèle traditionnel de gouvernance.

Si le multiculturalisme a permis aux populations marginalisées de faire entendre leurs voix sur la scène politique nationale en constituant une nouvelle façon de gouverner : une ethno-gouvernementalité, il a, en même temps, imposé de nouvelles normes concernant l’exercice légitime de l’indigénéité. Par la création d’un nouveau champ ethno-bureaucratique associé à la gestion de nouvelles ressources, les connaissances et systèmes de représentations locaux se sont convertis en un capital culturel.

Tamaquito : portrait d’un village déplacé

Parallèlement à cette nouvelle gouvernance, certains leaders de communautés, pour faire valoir leurs droits et lutter contre la corruption et le clientélisme, se sont tournés vers des ONG nationales ou internationales [28][28] Pour n’en citer que quelques-unes, à un niveau national :... leur permettant ainsi de court-circuiter les instances locales et nationales. En effet, les ONG se substituent alors à l’État comme intermédiaire entre la compagnie minière et certaines communautés wayuu. Ces processus transcendent le champ national pour établir une relation directe avec des processus transnationaux (Ulloa, 2011). Ainsi, certains leaders indigènes wayuu se rapprochent d’ONG telles que le collectif d’avocats José Alvear Restrepo [29][29] www.colectivodeabogados.org. Ce collectif a par exemple... ou encore Greenpeace pour faire valoir leurs droits [30][30] Les Wayuu se sont largement inspirés du modèle du CRIC.... et organiser leur relogement. Ce fut le cas de la communauté de Tamaquito, communauté vivant dans la montagne, qui était littéralement enclavée par le gisement minier. En effet l’entreprise, depuis son arrivée, avait racheté toutes les terres aux propriétaires terriens et évacué les communautés de la zone petit à petit par la force, comme ce fut le cas pour la communauté de Tabaco [31][31] Communauté d’afrodescendants expulsée en 2002 par l’entreprise..., ou par négociation. La division qu’engendrent les négociations et le relogement des communautés est telle que certaines d’entre elles sont aujourd’hui à moitié habitées. La mine n’a, en effet, racheté qu’une partie des maisons et certaines personnes n’ont pas accepté les conditions de relogement ou l’argent proposé en compensation. Tamaquito luttait depuis 10 ans contre cet enclavement. La mine interdisait de fouler son sol, les animaux ne pouvaient plus paître sur les terres avoisinantes, les hommes de la communauté n’avaient plus le droit de pêcher dans certains cours d’eau sous peine d’être amenés à la police, les enfants allaient cueillir des fruits en cachette sur les terres du Cerrejón, et enfin il n’y avait plus la possibilité de troquer du fait du dépeuplement. Avec l’aide d’avocats, les leaders de Tamaquito reprirent les notions de développement durable, d’accompagnement psychologique et de réparation morale et physique… Les autorités négocièrent jusqu’au moindre détail leur déménagement sur un terrain de 300 hectares en périphérie de la ville de Barancas. L’ancien du village me confie que, s’il avait pu, il serait monté plus haut dans la montagne planter des yuccas et vivre de la chasse, mais la présence de la guérilla [32][32] Les FARC se cachent toujours dans les montagnes ou... rend cette alternative compliquée et les plus jeunes préfèrent se rapprocher de la ville. « Là-bas, il n’y a pas d’ombre, pas d’arbres, ni de rivières », me dit le grand-père Lopez Epieyu. Pour les plus vieux, se rapprocher de la ville, c’est amorcer la perte des coutumes et de leur propre autorité face aux plus jeunes générations. En effet, force est de constater que le rapprochement de la ville va accélérer la « contagion culturelle » dont certains groupes étaient jusque-là protégés par leur isolement. Certains racontent même que, dans des communautés déplacées, les plus anciens sont morts peu de temps après le « déménagement »… Aujourd’hui, la communauté vit dans des maisons de brique aux toits de tôle avec des gazinières et des robinets, mais ces nouvelles commodités demandent de l’adaptation. Le leader Jairo Fuente dit aujourd’hui que, dans ce nouveau Tamaquito, « ils ne rêvent plus comme avant, mais c’était pourtant pour lui la seule issue possible ». Le réaménagement de Tamaquito fait figure de réussite pour beaucoup de communautés victimes de la pollution de la mine. La négociation de terres cultivables, de services sanitaires et de formations pour ces habitants [33][33] Comme par exemple le projet de la fondation Creata... a ouvert de nouvelles perspectives dans les négociations avec le Cerrejón, qui d’ailleurs expose ce réaménagement comme la preuve d’une collaboration réussie entre les Wayuu et l’entreprise. En fait, ce « succès » s’explique par l’acharnement des leaders de Tamaquito qui, voyant la désertification des villages alentour, la division des communautés, la violence des délogements ou l’échec des négociations, sollicitèrent l’aide d’un collectif d’avocats.

De la décolonialité à l’écologisation des discours : Wounmainkat

Si les Wayuu ont du mal à se fédérer politiquement entre eux, leur articulation avec d’autres communautés de la région est encore plus complexe. Les alliances sont rarement pérennes et majoritairement très localisées. On constate des alliances politiques électoralistes entre Wayuu et communauté d’Afros, ou bien entre Wayuu et métis, mais la tendance semble globalement en faveur du repli communautaire. Il semble que les Wayuu accordent plus de confiance aux autres communautés indigènes à travers le pays (celles de la Sierra Nevada ou du Cauca par exemple) qu’aux communautés qui peuplent La Guajira [34][34] Selon un rapport du DANE de 2007, La Guajira est composée.... Certains leaders wayuu se rapprochent d’organisations auprès desquelles ils trouvent conseil puis créent leur propre structure. Ce sont d’ailleurs principalement les ONG qui poussent les communautés « à se réapproprier leur histoire, à se (re)construire comme ethnie et à adopter une conception patrimoniale de leur territoire » (Boccara, 2011). Il s’agit dans un premier temps de redonner de la visibilité aux Indiens qui bien souvent étaient assimilés à des paysans afin de bénéficier des outils légaux disponibles (Convention 169 de l’OIT). On doit se démarquer en réaffirmant son propre système de valeur. On cherche alors dans les écrits des anthropologues les marques de sa différence, la trace des mythes qui nous relient aux dieux de la nature [35][35] Sur son site, l’association Outkajawaa Sau’u Wakuaipa.... On incite les Indiens à devenir les ethnographes de leur propre culture (Boccara, 2011). Ainsi, pour la lutte contre la déviation du fleuve Rancheria, les leaders indigènes du mouvement ont cherché, dans des ouvrages ou auprès d’anciens, des mythes concernant celui-ci.

« Je vais vous raconter un des mythes du fleuve. Jerakanawa c’est un serpent à deux têtes très grand qu’amène le courant du Rancheria. Au moment de la crue, c’est lui qui fait les chemins du fleuve. Il crée les canaux, les ruisseaux, etc. C’est un mythe de création. C’est lui qui crée le fleuve. Et parce qu’existe Jerakanawa on ne construit jamais de maison à la lisière du fleuve. » (L’écrivaine Vicienta Siosi lors d’une conférence à Riohacha)

Le fleuve est le support central des activités de subsistance wayuu telles que la petite agriculture (irrigation des terres), la pêche, la chasse, la cueillette de fruits (faune et flore bordant le fleuve), l’élevage des troupeaux (abreuvage), le lavage du linge entre femmes et construction (avec la boue du fleuve) mais également les activités de loisirs (baignades, constructions de poupées d’argile, etc.). Cependant, les usages et les pratiques quotidiennes associés au fleuve ne suffisent pas à légitimer son importance pour les communautés vivant à proximité dans le conflit qui les oppose à la mine. Il s’agit de donner une résonance mythico-ethnique à sa sauvegarde. Certains nouveaux leaders incitent alors les leaders traditionnels à « réviser » leurs mythes et à développer un discours sur la territorialité.

« Avec l’aide de certains de nos jeunes, qui, maintenant, sont professionnels, qui ont un savoir académique, on a réussi à se réveiller d’un long rêve. Parce que nos grands-pères, nos ancêtres, sans avoir cette connaissance, ont offert notre territoire à la multinationale. Ils l’ont offert parce qu’ils ont été trompés par quelque argent misérable. Mais aujourd’hui nous sommes conscients : c’est notre territoire. » (Nestor, resguardo 4 de Noviembre [36][36] Entretien réalisé le 17 avril 2014.)

Dans la pensée commune, n’appartient à une ethnie que celui qui en porte les signes distinctifs. Ainsi, à l’arrivée de la mine, les Wayuu du Sud n’étaient pas considérés comme des Indiens mais comme des paysans car ils ne correspondaient pas au portrait figé de l’imaginaire alijuna[37][37] Terme wayuunaiki désignant les non-Wayuu.. Si, du temps des réformes agraires, on a pu croire que le statut de paysans valait mieux que celui d’Indien, les promesses déchues de ces réformes ont vite eu raison de ces logiques. Le mouvement indigéniste, instigateur du multiculturalisme, trouve son origine dans un moment de désillusion quant au modèle de développement. À cette période, des voix s’élèvent partout en Amérique latine contre cet idéal perverti de l’Europe et ses relents colonialistes. Les études postcoloniales naissent alors dans les universités, dénonçant la domination discursive et la violence symbolique, opérées depuis la colonisation par l’Occident à l’instar d’Escobar et de sa critique épistémique du développement (Escobar, 1996). Il s’agit de mobiliser l’agency, la capacité d’initiative et d’action des opprimés. En Amérique, cela se traduit par l’émergence d’une théorie de la dépendance. Il faut penser la « décolonialité », c’est-à-dire se soustraire à la domination des imaginaires. « La décolonialité ne peut être ni cartésienne ni marxiste », disait Mignolo, alors elle sera indigène. La tendance de ces chantres de la décolonialité, dont s’inspirent largement les organisations indigénistes et les ONG, est de dire qu’il faut rechercher dans les traditions précoloniales les logiques alternatives au modèle rationnel européen. Ces nouveaux courants de pensée proposent de réhabiliter les valeurs traditionnelles comme seul moyen d’émancipation et de survie autonome des populations. Cependant, ces mécanismes de légitimation tendent à produire un effet de standardisation et de normalisation des cultures indiennes et de professionnalisation des individus porteurs de cette culture standardisée (Boccara, 2011). Par exemple, des recherches mythiques sont menées afin de favoriser l’enculturation des enfants et garantir la stabilité culturelle. La relation au territoire des Wayuu a été magnifiée afin de légitimer leur présence ancestrale dans la péninsule et réaffirmer la sacralité de leurs liens avec celui-ci.

« Selon l’histoire occidentale que l’on connaît, nous descendons des Arawak, mais selon l’histoire du peuple Wayuu racontée par nos grands-parents, toute la vie nous avons été ici et nous avons habité La Guajira. Nous ne sommes pas des immigrants comme le disent les études, les scientifiques. Nous ne descendons pas du détroit de Béring, ou de je ne sais où. Nous avons notre propre genèse. » (Adelaïda, Patsuaralli)

Via le développement du projet ethno-éducatif, les mythes sont également standardisés pour permettre leur diffusion collective [38][38] Selon la littérature anthropologique et ce que l’on.... Ainsi, le mythe de la création de l’univers wayuu, de la Terre matricielle, a été sublimé. En effet, selon les manuels ethno-éducatifs, c’est l’être féminin Mma qui, surgissant de l’obscurité, créa l’univers wayuu. Mma est le démiurge immanent. Elle est la mère de la Terre, mais elle est également la terre, mma. Chaque être végétal, animal, humain ou minéral, descend de Mma, a une âme et un langage. À chacun elle attribue des caractéristiques particulières. Ainsi, elle divise les humains en clans matrilinéaires (Paz Ipuana, 1973). Néanmoins, il est surprenant de voir que, dans le travail minutieux de Michel Perrin sur le mythe (1976), Mma la Terre, dont dérive Wounmainkat, notre Terre mère, n’apparaît quasiment pas alors qu’il est partout aujourd’hui dans les discours politiques et les livres d’école. Comme le dit Viveiros de Castro, « le discours mythique consiste en un registre du mouvement d’actualisation du présent état des choses à partir d’une condition précosmologique virtuelle » (Viveiros de Castro, 2009, p. 32). Ainsi, nous ne remettons pas ici en cause l’existence ni même l’ancestralité du mythe de Mma, mais il est évident que celui-ci a été revalorisé à des fins politiques et, par extension, certains leaders wayuu ont créé un concept nouveau : celui deWounmainkat « notre Terre mère », apportant ainsi une résonance religieuse aux appels pour la sauvegarde du territoire. Pour les anciens Wayuu, l’importance du territoire est exprimée par rapport aux cimetières et aux esprits avant tout. Lors des entretiens, aucun d’eux n’évoque le principe Wounmaikat qui leur semble d’ailleurs étranger. Les interrogeant sur ce point, beaucoup répondent simplement : « Mma, c’est la terre. » Ce concept, a priori nouveau, est avant tout relayé par de jeunes leaders très impliqués dans le mouvement indigéniste transnational. Woumain, c’est avant tout l’environnement social. Cela peut se traduire littéralement par « notre Terre » ; mais la mère, « tei » en wayuunaiki, n’y est pas incluse. C’est par extension et en relation avec le mythe de Mma, que certains activistes le traduisent par la Terre Mère, mais également sous l’influence d’autres communautés indigènes voisines, telles que les Kogi et les Arawaks de la Sierra Nevada de Santa Marta, comme me le suggèrent certaines personnes, réputées pour leur relation privilégiée à la nature et bénéficiant d’une image plus écologique dans l’opinion publique. La notion de Terre mère se retrouve dans presque tous les mouvements indigènes en Amérique latine. Il est difficile de connaître les origines de ce mouvement. S’agit-il de l’influence des mythes incas de la Pachamama ? L’adoration de la terre matricielle semble en effet une constante dans bien des sociétés humaines à l’instar, pour n’en citer qu’une, de la Gaïa grecque. L’origine de ce mythe n’est pas le sujet de notre recherche, c’est plutôt son utilisation politique dans cette nouvelle forme d’écogouvernementalité climatique (Ulloa, citant Foucault, 2011), qui place la notion de territoire global au-dessus de celles des territoires locaux, qui nous intéresse. Ainsi, les connaissances locales sont détournées et/ou réutilisées afin de correspondre aux attentes d’éventuels soutiens extérieurs. Les leaders en lutte pour l’autodétermination et l’autonomie territoriale s’inspirent de la lutte d’autres communautés et des conseils d’ONG pour façonner leurs discours et ainsi pouvoir revendiquer certains droits. La notion de territoire s’articule alors avec des programmes et des connaissances globales. Comme j’ai pu le constater sur le terrain, ce sont les relations de parenté maternelle et le cimetière qui déterminent en général le lieu d’appartenance chez les Wayuu vivant dans lesrancherías. Pour les anciens, l’importance du territoire est exprimée par rapport aux cimetières et aux esprits avant tout.

Depuis de nombreuses années, les dommages environnementaux causés par la mine bouleversent tous les éléments structurant des communautés wayuu voisines : pollution des eaux et tarissement du fleuve et des rivières près des zones d’exploitation, pollution de l’air et de la végétation nécessaire à l’alimentation des troupeaux. Mais c’est surtout à cause des déplacements de population que des communautés wayuu sont entrées en lutte contre la mine (la pollution n’a pas tout de suite été perceptible et les communautés étaient souvent très peu informées des conséquences de celle-ci).

« Les choses ont beaucoup changé aujourd’hui. Avant, nous étions des cueilleurs de fruits sylvestres. […] Nous, les Wayuu, avions beaucoup d’animaux, beaucoup de troupeaux de bêtes. Nous n’avions pas la nécessité de venir acheter quelque chose à Maicao ou à d’autres endroits parce que nous avions tout ici. Nous ne consommions pas de riz, rien de cela. Nous cultivions beaucoup de maïs, notre alimentation était à base de maïs. On tuait une vache et on la laissait sécher et on la mangeait avec des haricots, avec les variétés de racines et les fruits sylvestres propres de la région. Maintenant, nous ne mangeons plus ça parce qu’il nous reste peu de terre parce que la mine nous a chassés. » (Telemina, autorité de Patsuaralli)

Les différents changements de mode de vie sont imputés à la présence de la mine à tort ou à raison. On assiste à une mythification de la nature qui régnait avant l’installation minière.

De plus, avec l’arrivée de la mine, il semble que certaines communautés wayuu aient procédé au passage d’une résistance spéculative (sur l’autre pour soi) à uneresistant adaptation (discours sur soi pour l’autre), du discours cosmologique sur l’altérité au discours politique sur l’ethnicité (Albert, 1993), de la catégorie d’apüshi ou de clan à celle de gran nación indigena Wayuu, hijos de la madre tierra. La rhétorique indigéniste et l’écologisation du discours des leaders wayuu sont sûrement ce qui est le plus frappant dans les discours politiques wayuu contre la mine et les spoliations territoriales. « En tant que grande nation wayuu, nous avons une relation spirituelle avec la nature », me dit Adelaïda. Ainsi s’est opérée depuis les années 1980 (avec l’arrivée de la mine, le développement des mouvements indigénistes puis la Constitution de 1991), une intensification de ce que Bruce Albert appelle un double enracinement symbolique, c’est-à-dire une auto-objectivation selon les catégories occidentales de l’ethnification et une réécriture cosmologique engendrée par le contact avec d’autres systèmes sociaux, économiques et politiques. Je parle d’intensification car, dans le cas des Wayuu, le contact avec le monde extérieur remonte bien loin [39][39] Les premiers contacts des communautés wayuu avec les... et ils ont toujours dû trouver des stratégies d’articulation pour s’adapter à l’intrusion de ces Autres. Néanmoins, l’arrivée de la mine marqua une rupture historique et intensifia les problèmes liés à la territorialité et à la survie de ce groupe. Il faut cependant comprendre que si les communautés wayuu se réapproprient certaines catégories occidentales, la signification politico-symbolique qu’elles enfont est souvent différente. L’écologisation du discours fait référence, pour les Wayuu, à la destruction de leur habitat par l’irruption de « l’économie monde » dans la péninsule pour l’extraction et l’exploitation de ses ressources naturelles. Ceci fut récemment le cas avec le projet de déviation du fleuve Rancheria par la mine, alors même que le fleuve est le support privilégié des activités quotidiennes et rituelles pour beaucoup de Wayuu. Au cours de cette lutte, les leaders wayuu ont développé de nouvelles connaissances théoriques en lien avec le fleuve. Ils manient ainsi aujourd’hui certains concepts environnementaux techniques, tel le principe des aquifères, ou encore des données géographiques, tout en revendiquant la sacralité du fleuve et son essence vitale pour la survie de la communauté en tant qu’habitat des êtres mythiques. Comme je l’évoquais en amont, certains Wayuu ont appris récemment des histoires mythiques sur le fleuve qu’ils ignoraient ou qui s’étaient perdues, d’autres ont développé un savoir scientifique et bien souvent les deux à la fois. Ils mobilisent en fonction de leur interlocuteur les différentes catégories de connaissances.

« BHP Billiton et les membres de la mine Cerrejón sont en train de sortir le charbon qui, pour nous, représente les organes internes de la Terre Mère [Wounmainkat], qui est sacrée pour nous. Dévier le fleuve serait comme lui couper les veines. Ils sont en train de détruire notre Terre et nous devons la défendre. » (Yasmin Romero Epiayu [40][40] Discours devant les actionnaires de la BHP Billiton...)

L’intervention d’ONG transnationales suscitées et des médias étrangers a joué un rôle majeur dans l’intensification de la lutte contre la déviation du fleuve et ce, grâce au développement d’un discours écologique élaboré qu’ont construit les leaders du mouvement wayuu. Le discours politique des indigènes s’est, ainsi, écologisé en réponse à la préoccupation écologique grandissante dans les pays les plus industrialisés. L’écologisme est devenu un moyen de légitimation du discours territorial et l’un des paradigmes dominants de l’idiome indigéniste. Les ONG qui défendent les communautés face à la compagnie minière sont les principaux agents de diffusion de ce processus d’ethnogenèse plus ou moins récent. Ainsi, l’écologisation de l’ethnique s’accompagne d’une ethnicisation de l’écologie. En pensant se construire par opposition aux Autres se détache-t-on réellement des catégories que ces Autres ont forgées ? Dans le même temps, pour lutter contre l’intrusion de ces Autres, les communautés wayuu ne doivent-elles pas apprendre à dialoguer avec eux, s’initier à leur mode discursif sur le climat et les initier à notre mode discursif sur l’environnement ? Les ONG qui aujourd’hui conseillent les communautés wayuu n’ont-elles pas elles-mêmes été influencées par le rapport à l’environnement de certaines communautés indigènes ? Le problème réside, comme je l’évoquais plus haut, dans la standardisation que l’action des ONG opère et dans l’incursion d’arguments ethniques à l’intérieur d’un discours de lutte.

Pour conclure

 

L’étude des interprétations symboliques du territoire et des pratiques quotidiennes relatives à celui-ci nous a permis, dans un premier temps, d’envisager la relation que certaines communautés wayuu entretiennent avec leur environnement. Leur territoire est ainsi marqué par les lieux qui cristallisent en leur sein toute l’organisation de ce monde social et culturel. De plus, en tant qu’éleveurs et agriculteurs, beaucoup de Wayuu entretiennent un rapport quotidien à la terre, en ce qu’elle est le substrat privilégié des activités de subsistance mais également de loisirs. Le territoire apparaît alors comme le support privilégié de la reproduction sociale de la communauté. Cependant, l’analyse des cadres historiques et des nouvelles dynamiques sociales des Wayuu a révélé des conflits fonciers auxquels sont en proie certaines communautés depuis l’arrivée de « la mine » du Cerrejón dans la région.

En effet, l’implantation du consortium d’entreprises étrangères Carbones del Cerrejón Limited a définitivement porté atteinte aux modes de vie et à la territorialité des communautés wayuu, lesquelles ont dû accepter le voisinage de l’une des plus grandes mines du monde, symbole paroxystique du modèle de développement occidental. Les espoirs d’intégration des communautés wayuu partageant le territoire avec l’entreprise minière à la chaîne productive de celle-ci se sont vite évanouis et elles n’ont pu s’incorporer à ce projet comme elles l’avaient fait avec d’autres auparavant. Si certaines interactions ont vu le jour entre les deux entités, tels le système d’alliance et le clientélisme, la logique patronale d’un système globalisant a fini par tourner le dos aux pratiques locales et à la diversité de ses demandes. De plus, les impacts environnementaux considérables de l’activité minière (qualité et accès à l’eau, qualité de l’air, faune et flore détruites) engendrent un changement des pratiques et des connaissances liées à l’environnement. Les activités de subsistance, telles que les cueillettes, les récoltes, la chasse, la pêche et l’élevage, sont bouleversées par la raréfaction des aliments et des animaux en lien avec la pollution générée par la mine.

« Ici, le ketama, oiseau annonciateur de la pluie, ne chante plus [41][41] Entretien avec Adélaïada, Patsüaralii.. » Si le réchauffement climatique mondial est à prendre en compte, l’activité minière du Cerrejón accentue fortement son processus. En témoigne son dernier projet d’expansion : dévier le seul fleuve d’une région à forte propension à la désertisation, ce qui amènerait à réduire son lit de 40 % à 60 % [42][42] Source de l’IDEAM, Institut d’Hydrologie, Météorologies.... Certains appellent ça un crime de « lèse humanité ». Le Cerrejón reconnaît lui-même que cela engendrera une perturbation majeure pour les communautés wayuu qui vivent à proximité du fleuve [43][43] Le Cerrejón, dans son résumé du projet de déviation.... Parallèlement à cela, l’État, bien qu’absent socialement, a tout d’abord distribué le territoire des communautés indigènesaux investisseurs étrangers puis s’est infiltré dans les communautés par le biais du système de resguardo, hérité de l’époque coloniale. Ce système a engendré la gestion de nouvelles ressources et la création de nouvelles formes d’autorités locales impliquant de nombreux conflits internes. Cependant, l’interaction des communautés wayuu avec des agents extérieurs liés à la gestion du territoire ne se définit pas seulement à l’aune du phénomène d’acculturation où les pratiques et connaissances se perdent mais également comme un espace au sein duquel l’identité des groupes se réaffirme et de nouveaux savoirs émergent.

Les interactions avec l’extérieur, et plus particulièrement avec les représentants de l’entreprise minière (chefs de projets, agents des fondations du Cerrejón et acteurs sociaux) ont, en effet, favorisé la mobilisation de discours revendicatifs par les communautés wayuu et construit de nouvelles hiérarchies sociales et politiques impliquant un renouveau des connaissances de la communauté. Les groupes sociaux menacés par les nouvelles formes d’appropriation se sont engagés dans des mouvements de résistance fondés sur la revendication de « contre-espaces » différenciés au sein de la frontière (terres indigènes, réserves « extractivistes ») (Albert, 1993). De nouvelles stratégies territoriales ont ainsi vu le jour, basées sur la condition d’exproprié des communautés indigènes. Ces dernières ont intégré une partie du discours de l’État et fondé une ethnicité générique et juridique. Le développement du discours indigéniste par les intellectuels, les organisations sociales, l’Église et certains États a fortement influencé l’auto-réaffirmation ethnique des communautés. On réaffirme certains marqueurs distinctifs et certaines valeurs à l’aune des catégories imposées par l’extérieur. C’est d’ailleurs parce qu’il y a interaction avec d’Autres que la nécessité de réaffirmer les frontières identitaires se fait sentir. On se construit alors dans l’image que ces Autres nous renvoient de nous-mêmes. Ainsi, être indigène c’est, entre autres, être proche de la nature, parler une langue vernaculaire et s’habiller de façon « traditionnelle ». On revendique une tradition figée et chimérique afin de donner une visibilité à la communauté et de réaffirmer une cohésion communautaire qui n’a peut-être finalement jamais existé. Cette subjectivisation de soi est bien souvent le fruit d’une rupture et d’une crise identitaire engendrées par le déracinement et la perte de référent. Mais, au-delà du simple processus mimétique, il s’agit d’aborder ce type de discours au prisme des nouvelles logiques d’organisations politiques telles que la territorialisation du phénomène social.

« Les politiques du lieu constituent une forme émergente de politique, un nouvel imaginaire politique dans lequel s’affirme une logique de différenciation et une possibilité que développent une multitude d’acteurs et d’actions qui s’opèrent au sein de la vie quotidienne. » (Escobar, 2005)

Ces mouvements identitaires contre-hégémoniques ont ouvert de nouveauxespaces de dialogue. Ils ont permis à des populations oubliées de faire entendre leur voix. L’hégémonie de la croyance dans le modèle de développement a pu être remise en cause et surtout, on a tenté de déconstruire certaines catégories socio-politiques afin de trouver des alternatives au modèle unique et universalisant venu de l’Occident. Néanmoins, la sauvegarde du territoire est une lutte à mener contre les nouvelles formes d’accaparement foncier et des forces de production. La lutte ne doit pas seulement être ethnique mais aussi et surtout économique. Les multinationales telles que le Cerrejón sont l’expression fidèle du capitalisme contemporain et, d’une certaine façon, les fers de lance d’un nouveau type de colonisation. Il est donc nécessaire de ne pas se centrer exclusivement sur sa condition ethnique et les droits qui en découlent mais bien d’articuler une pensée et des actions locales et globales. Bien sûr, il ne faut pas essentialiser la lutte indigéniste car elle est tout à fait hétérogène. Néanmoins, les processus de transnationalisation de la nature engendrant une ethnicisation du discours écologique exacerbent certaines tendances aux communautarismes sur la scène politique.

Notes

[1]

Le terme de Cerrejón utilisé dans cet article fait directement référence à l’entité légaleCarbones del Cerrejón Limited, un consortium de multinationales minières qui gère le gisement homonyme du Cerrejón. En 1976, un contrat d’association à parts égales a été signé entre Carbocol, une compagnie charbonnière de l’État colombien et Intercol, une filiale d’ExxonMobil (société pétrolière et gazière américaine), pour le développement de la zone du Cerrejón (nom éponyme de la formation géologique). Ce contrat, valable pour 33 ans, comprenait trois étapes : l’exploration de 1977 à 1980, la construction de 1981 à 1986 et la production de 1986 à 2009. En 1999 est signé un accord prolongeant le contrat d’association jusqu’en 2034. En 2000, la participation de Carbocol, qui était de 50 %, a été vendue à un consortium réunissant BHP Billiton, Anglo American et Glencore International AG. (Glencore revendra ensuite sa part à Xstrata.) http://www.cerrejon.com/site/nuestra-empresa/historia.aspx

[2]

La mine produit 32 millions de tonnes de charbon par an. Elle possède une voie ferrée de 150 km de long et un port maritime pouvant recevoir jusqu’à 180 000 tonnes de fret. http://www.cerrejon.com/site/nuestra-empresa.aspx

[3]

Le cas des Wayuu est loin d’être isolé ; les conflits liés à la gestion des ressources naturelles sont légion sur le continent et dans le pays. Néanmoins, l’ampleur du projet du Cerrejón fait de lui un cas d’école.

[4]

Les rancherías sont les unités de résidence « traditionnelles » composées des maisons, des cuisines et d’un auvent, enramada. Il y a également un ou plusieurs enclos pour les animaux. Un peu plus loin se trouvent le jagüey (point d’eau pour les bêtes) et le cimetière familial. L’habitat est fortement dispersé. Le nombre de maisons desrancherías est variable, plusieurs habitations sont dispersées sur un territoire de plusieurs dizaines d’hectares, ces maisons constituant l’unité et portant un nom propre. Le voisinage est souvent le reflet de l’organisation en clan matrilinéaire de la société et respecte donc la parenté, mais les nombreux déplacements de communautés et de familles ont modifié cet idéal d’organisation sociale.

[5]

Néanmoins, pour les raisons sus-citées, j’évoquerai principalement, ici, des communautés wayuu du Sud de La Guajira vivant dans des rancheríasmajoritairement à l’intérieur de resguardos.

[6]

Des études menées par le Cerrejón ont révélé la présence d’une importante quantité de charbon sous le fleuve Ranchería ; 500 000 millions de tonnes seraient potentiellement exploitables. Résumé du projet d’expansion Iiwo’uyaa pour les groupes d’intérêt consultable sur http://fr.slideshare.net/uniguajiros/resumen-cerrejon-sobre-desviacion-del-rio.

[7]

Chaque être végétal, animal, humain ou minéral a une âme et un langage. C’est la corporalité qui, seule, différencie les espèces.

[8]

Entretien réalisé en avril 2013.

[9]

Jepira est un lieu au nord de La Guajira où, selon la cosmologie wayuu, reposent les âmes des morts. L’âme, appelée yoluja, une fois détachée du corps suit son chemin jusqu’à Jepira, lieu où elle demeure jusqu’à un ultime voyage transcendantal vers les étoiles. Elle revient ensuite sur Terre sous forme de pluie ou de rêves assurant ainsi le cycle vital. Certains n’iront jamais à Jepira autrement qu’en rêve où ce lieu hétérotopique, pour reprendre Foucault, se manifeste comme un présage annonciateur de la mort prochaine. En ce sens, Jepira constitue « un haut lieu » par son caractère sacré au sein d’une cosmologie particulière. Il assure la continuité entre le monde des vivants et celui des ancêtres.

[10]

Il est bon de préciser que les Wayuu résidant en ville ne perdent pas le contact avec les membres de leur famille au sein du territoire traditionnel, et même ils apportent des ressources à ces derniers, contribuant ainsi au maintien des activités traditionnelles comme l’élevage (Vasquez & Darrio, 2000).

[11]

Femme Tamaquito. Entretien réalisé en mai 2013.

[12]

Les jagüey sont de petits orifices, à l’origine formés naturellement, desquels émanait de l’eau douce. Éléments essentiels de la survie des Wayuu, les jagüey ou littéralement « yeux d’eau » sont des lieux mythiques. Un des mythes raconte que ce sont les larmes des familles dont les enfants se sont noyés, emportés par Pulowi, qui permettent de maintenir l’eau dans les jagüey.

[13]

Entretien réalisé le 6 mai 2013 en wayuunaiki. Traduction Adelaida Van Grieken.

[14]

La recherche de l’eau est une activité traditionnellement réservée aux femmes : « l’eau est l’or des femmes wayuu » pour reprendre la communication de l’ONU qui sensibilise à la lutte de cette population contre les changements climatiques.http://www.un.org/fr/multimedia/videos/video10.shtml

[15]

Pour un détail de la situation écologique à la Guajira :http://www.defensoria.gov.co/public/pdf/informedefensorialguajira11.pdf

[16]

http://www.elaw.org/files/mining-eia-guidebook/Chapitre%201.pdf

[17]

« La mine » fait ici référence à l’usage du terme en espagnol « la mina » utilisé par les habitants de la région pour parler de l’entreprise du Cerrejón.

[18]

Ce système de consultation préalable apparaît dans la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux, adoptée en 1989 par l’OIT (Organisation Internationale du Travail) que rejoint la Colombie avec la Constitution de 1991. Cette convention exige que les peuples indigènes et tribaux soient consultés sur les questions qui les affectent et qu’ils soient en mesure de s’engager dans une participation libre, préalable et informée. Le déroulement de cette consultation préalable est source de nombreux litiges et les Wayuu, à l’instar de nombreuses autres communautés, la trouvent souvent illégitime. Par exemple, pour la déviation du fleuve, la consultation préalable n’a, selon les Wayuu, pas eu lieu ou s’est déroulée de manière « illégale ». L’entreprise, avec l’aide du ministère de l’Intérieur, a effectué quelques consultations préalables avec quelques chefs de communautés, parmi les plus favorables au projet, et moyennant des compensations financières et en nature consenties à certains leaders. Les Wayuu réclament des consultations préalables décentes sans manipulation. Ils déplorent l’absence d’un organe wayuu uni qui soit à même de gérer ces questions de façon partiale pour toute la communauté. Excepté quelques autorités bien informées, la plupart ne comprennent pas les termes techniques et surtout n’envisagent pas les conséquences que certains projets impliquent. La majorité des interventions de la mine dans les communautés ne sont pas traduites en wayuunaiki, et les compensations qui sont proposées sont vite acceptées par les autorités locales. La consultation préalable a ses limites puisqu’elle n’est pas nécessaire lorsque les terres sont déjà en concession, ce qui n’est pas le cas du fleuve mais de beaucoup d’autres zones de la région, comme ce fut par exemple le cas lors de la construction du port de la mine, Puerto Bolivar.

[19]

Selon un rapport du DANE de 2005, seuls 2,9 % des habitants de la Guajira seraient employés par la mine.

[20]

Relations de parenté maternelle normalement composées d’Ego, de ses frères et sœurs, de sa mère et de sa grand-mère maternelle et des frères et sœurs de celles-ci.

[21]

Je fais ici référence aux arguments que les membres du Cerrejón Limited m’ont présentés en entretien (chef de projet d’expansion ou techniciens ouvriers) ou bien aux discours officiels que l’on peut notamment trouver sur leur site ou dans la presse.

[22]

Depuis la Constitution de 1991, de nombreuses lois vinrent renforcer les droits des réserves indigènes, au-delà du supposé caractère inaliénable du territoire, et les réserves se sont vues intégrer au système général de participation aux revenus de la Nation : « Seront bénéficiaires du Système Général de Participation : les réserves indigènes légalement constituées et rapportées par le ministère de l’Intérieur au Département National de Statistiques, DANE, au cours de l’année immédiatement antérieure à la vigueur pour laquelle se programment les ressources (art. 83). Les ressources pour les réserves indigènes se distribueront en proportion à la participation de la population de l’entité ou réserve indigène et au total de la population indigène rapportée par l’INCORA au DANE » (extrait de la loi 715 de 2002).

[23]

Dans la région de La Guajira, on ne dénombre pas moins de 4 000 associations différentes aujourd’hui. Il est donc difficile d’y trouver une unité et les revendications sociales se perdent trop souvent dans des profits personnels ; la politique, l’éducation et la santé étant perçues comme des moyens de ressources économiques. « Tant d’organisations que cela s’est converti en désorganisation », me confie un membre de la Junta de Palabrero.

[24]

Le système des resguardos, ou réserves indigènes, est une institution légale et sociopolitique de caractère spécial composée par une ou plusieurs communautés indigènes qui, via un titre de propriété collective, jouit des garanties de la propriété privée inaliénable. Cependant, il faut noter que l’article 332 de la Constitution de 1991 stipule que « l’État est propriétaire des sous-sols et des ressources naturelles non renouvelables, sans préjudices aux droits acquis et perfectionnés par les ajustements aux lois préexistantes ». L’État ne se dépossède jamais complètement de son territoire qui est consubstantiel de son existence.

[25]

L’alaula est l’oncle utérin de ego. Il est la figure mâle dominante de l’apüshi et bien souvent le leader de la communauté.

[26]

Outre les alliances, le maintien de l’ordre social est également assuré par un système de compensations et de réparations dispensées par l’intermédiaire des palabreros oupütchipü. Ce système nominatif est assuré par le palabrero, sorte d’avocat communautaire qui porte la parole de l’oncle maternel de la victime ou de l’offenseur. Il est très rare que la police intervienne dans les conflits et l’on peut faire appel à despalabreros de toute la région pour régler un litige, si celui-ci a meilleure réputation et que le conflit est important.

[27]

Entretien réalisé en mars 2013.

[28]

Pour n’en citer que quelques-unes, à un niveau national : Fucai et le collectif d’avocats José Alvear Restrepo et à l’international : Greenpeace, Amnesty International, Action contre la Faim, etc. Nombreuses sont les ONG à apporter leur soutien aux communautés wayuu en lutte pour la sauvegarde de leur territoire et pour faire valoir leur droit en matière de santé et d’éducation.

[29]

www.colectivodeabogados.org. Ce collectif a par exemple assisté juridiquement la communauté de Tamaquito pour ses négociations relatives à son déplacement en 2013.

[30]

Les Wayuu se sont largement inspirés du modèle du CRIC. Fondé en 1971, le Conseil Régional Indigène du Cauca a constitué un moteur des processus revendicatifs des indigènes de Colombie quant à la sauvegarde de leurs territoires. Il sera d’ailleurs l’un des cofondateurs de l’ONIC (Organisation Nationale Indigène de Colombie) en 1982. La naissance de l’organisation du CRIC fut motivée par le conflit direct qui opposait les propriétaires fonciers avec les terres indiennes quant à la reconnaissance desresguardos indiens.

[31]

Communauté d’afrodescendants expulsée en 2002 par l’entreprise du Cerrejón.

[32]

Les FARC se cachent toujours dans les montagnes ou dans le désert de La Guajira.

[33]

Comme par exemple le projet de la fondation Creata parrainé par le Cerrejón afin de commercialiser l’artisanat des femmes wayuu. Il s’agit notamment de cours de marketing dispensés aux femmes dans l’optique d’optimiser les ventes de sacs ; on leur apprend quel motif tisser dans une logique purement commerciale. Les motifs et les couleurs de l’artisanat wayuu sont traditionnellement les symboles des clans ou des représentations de la cosmologie via des lignes et des formes particulières. Aujourd’hui, on leur explique que le noir est plus vendeur ou que tels motifs sont plus attractifs. Le Cerrejón commande même des sacs à son effigie.

[34]

Selon un rapport du DANE de 2007, La Guajira est composée à 44,9 % d’indigènes, à 40,3 % de métis et à 14,8 % d’Afros. (http://www.dane.gov.co/files/censo2005/PERFIL_PDF_CG2005/44000T7T000.PDF).

[35]

Sur son site, l’association Outkajawaa Sau’u Wakuaipa (« réunis pour notre identité »), qui lutte pour le développement de la nation Wayuu et la résurgence des traditions, offre toute une galerie de vieilles photos de Michel Perrin, comme l’image de ce qu’est un Wayuu.

[36]

Entretien réalisé le 17 avril 2014.

[37]

Terme wayuunaiki désignant les non-Wayuu.

[38]

Selon la littérature anthropologique et ce que l’on m’a raconté, la transmission des mythes dans les familles wayuu se faisait principalement par des veillées au cours desquelles l’alaula ou un autre membre de la famille racontait des épopées mythiques. Aujourd’hui, cette pratique s’est beaucoup perdue mais la transmission des mythes est maintenant assurée par l’école et le grand projet ethno-éducatif Anaa Akuaipa.

[39]

Les premiers contacts des communautés wayuu avec les sociétés occidentales remontent aux XVIe siècle (Picon, 1976).

[40]

Discours devant les actionnaires de la BHP Billiton à Londres le 15 octobre 2013.

[41]

Entretien avec Adélaïada, Patsüaralii.

[42]

Source de l’IDEAM, Institut d’Hydrologie, Météorologies et Études Environnementales. 2010.

[43]

Le Cerrejón, dans son résumé du projet de déviation pour les groupes d’intérêts, définit les risques environnementaux par : un risque majeur de perte de 40 % des aquifères alluviaux du fleuve sur une étendue de 80 km, une réduction du débit du fleuve avec un risque accru d’inondation en certains endroits, une décharge de sédiments en suspension pendant et juste après la déviation, une réduction de 15 % de l’habitat aquatique, l’altération de 2 330 hectares de végétation et la perturbation de la faune que cela impliquera. Resumen del Proyecto de Expansion Iiwo’uyaa para grupos de interes. Cerrejón. 2011. Consultable sur la pagehttp://fr.slideshare.net/uniguajiros/resumen-cerrejon-sobre-desviacion-del-rio.

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Palabras cla

Plan de l'article

  1. Introduction
    1. Territorialité wayuu
    2. De l’arrivée de « la mine »
    3. La logique du développement
    4. Création de l’espace relationnel
    5. Les relations de pouvoir et l’ingérence de l’État
    6. Tamaquito : portrait d’un village déplacé
    7. De la décolonialité à l’écologisation des discours : Wounmainkat
  2. Pour conclure

Pour citer cet article

Quilleré Sarah, « Écologisation et standardisation des mythes traditionnels, reconfiguration des connaissances locales et nouveaux concepts. Les Wayuu en lutte pour la sauvegarde du territoire », Revue d'anthropologie des connaissances, 4/2016 (Vol. 11), p. 609-634.

URL : http://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2016-4-page-609.htm
DOI : 10.3917/rac.033.0609

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